Si le lecteur le permet, cet article requiert une rapide introduction quant au personnage interviewé… Lors du festival « Jazz à Junas », le Journal de la Comédie a eu la chance de pouvoir rencontrer Patrice Soletti: artiste apparu « pluriel », soit non pas juste artiste mais aussi conteur, à sa manière, de sa relation personnelle à la musique, aux sonorités et ambiances… Chercheur aussi, comme le sont beaucoup dans le Jazz, mais chercheur sans prétention et pourtant avec réel résultat. Et pour terminer, qui dit chercheur dit aussi un brin philosophe… Après tout, la musique ne se répand pas qu’au travers des sons…
Bien que le festival soit terminé, nous tenons à vous présenter cet article permettant de découvrir, ou redécouvrir, l’artiste-conteur-chercheur-philosophe qui a pris le temps de partager avec nous une part de sa personne, et nous l’en remercions.
Pouvez-vous vous présenter, votre parcours, votre rencontre avec la musique «tout court» et la musique jazz?
Je m’appelle Patrice Soletti, je suis guitariste. Je suis autodidacte : j’ai acheté mon premier instrument vers 15 ans… Au départ je ne savais pas que je serai musicien. C’est venu par un concours de circonstances. Je ne sais plus exactement comment cela s’est passé mais il y a en tout cas un facteur déclencheur : l’achat d’un disque de Wes Montgomery (séduit par la pochette qui le montrait avec sa guitare) . Je ne savais rien de lui… Mais c’était magnifique! Je me souviens que cela paraissait limpide, c’était déroutant même (car il ne jouait pas «vite» et beaucoup de notes comme John Mc Laughlin par exemple et autres «guitar heroes»). Bref, j’ai passé de longues heures à essayer de reproduire inlassablement certains de ses solos. Et puis il y avait un rapport physique à l’instrument. Au bout de quelques temps, il y a eu une vraie dépendance : je ne pouvais pas passer une journée sans jouer…
Et puis 2 ou 3 ans plus tard, il y a eu Miles avec son groupe électrique que j’ai vu et entendu au festival de Nîmes. A la guitare : John Scofield. Ce fut un choc émotionnel immense ! Quelques mois plus tard, je me promettais de devenir musicien et de me consacrer à la musique. Alors j’ai été plus méthodique. Sur les conseils de Louis Winsberg, je me suis inscrit au CIM à Paris pour suivre des cours de jazz car c’est la musique que j’aimais (et que j’aime toujours d’ailleurs!) Mais cela ne me convint pas vraiment et j’abandonnai pour plutôt rencontrer d’autres jeunes musiciens avec lesquels je participai à divers projets créatifs. C’était alors la grande vogue du jazz-rock avec des groupes comme Weather Report, Steps Ahead, Miles, Yellow Jacket, …
Progressivement, je découvrais le free jazz et la musique contemporaine. Il y avait fin des années 80 un club qui s’est ouvert à Montreuil : Les Instants Chavirés. Il y avait toute l’avant-garde française et internationale qui passait là ! Pr exemple Marc Ducret, Evan Parker, … Et aussi la jeune génération (Guillaume Orti, Gilles Coronado, Noel Akchoté, …). Ce fut une suite de découvertes fortes et il m’a paru alors évident que ce n’était pas dans le domaine du jazz américain que je devais persévérer mais plutôt me recentrer sur ce que mon environnement me proposait et qui résonnait avec mon histoire personnelle. J’ai commencé à m’interesser de près à d’autres approches telles que celles du post-rock (Fred Frith, Marc Ribot, …), de l’électro-acoustique, la musique improvisée européenne, …
Puis, pour des raisons personnelles, je retournai dans le sud de la France (ma région d’origine) et là je rencontrai Barre Phillips. Ce fut une rencontre déterminante. En lui, j’ai trouvé la synthèse des divers courants (le jazz et la musique contemporaine) qui m’intéressaient ainsi que la rigueur, la spiritualité et une honnêteté artistique très forte. Il est pour moi un modèle tant artistique qu’Humain. Depuis le milieu des années 90, il éclaire mon parcours par ses remarques et ses conseils et depuis trois ans, nous formons le collectif E.M.I.R. (Ensemble de Musiciens Improvisateurs en Résidence).
Parlez-nous de votre musique, quelles sont vos inspirations, vos instruments/sonorités de prédilection? Quelle est son histoire?
Les rencontres ont fait beaucoup. «Physiques», comme celle de Barre que j’évoquais ou bien «sonores», «virtuelles», quand je découvre des artistes sur CDs qui me captivent… Ceux qui m’ont le plus marqué, dans le désordre : Fred Frith, John Zorn, Otomo Yoshoidé, Zappa, Ravel, Varese… Les trois premiers représentent l’évolution du rock et du jazz. Zappa est comme une comète : le lien entre le rock et la musique dite «savante» d’un Ravel (irresistible) ou d’un Varèse, magnifique exemple de radicalité et d’invention – pour mémoire, il a créé entre autres le célèbre «Ionisation» qui utilise seulement des percussions et qui met en pratique une innovation qu’il a appelé «organised sounds», c’est à dire qu’il ne compose plus seulement avec les notes, mais avec des «sons» qu’il organise dans le temps.
Depuis une dizaine d’années, je remets régulièrement en question mon rapport à l’instrument et à la forme musicale. Le terrain le plus propice aux expériences auxquelles je me livre est celui des musiques improvisées.
Sur le plan musical, la première chose que j’ai interrogée, en tentant de la contourner voire de l’éliminer, est la mélodie. Je me suis alors rapproché de la musique concrète et électro-acoustique et j’ai commencé à préparer la guitare avec des objets que je trouvais autour de moi : baguettes, peigne, bouts de papiers et cartons, ficelles, archets, etc. Cela a eu pour effet de changer mon rapport à l’instrument : il ne fait plus seulement des notes, mais aussi des sons complexes. Et ces sons peuvent être modulés, altérés, modelés par des pédales d’effets, etc. J’aime cette métamorphose de l’instrument, qui devient un «résonateur».
Souhaitez-vous transmettre un message ou des émotions particulières à votre public à travers votre musique? Quels sont les retours que vous en obtenez?
Je suis un matérialiste. C’est à dire que je tente de rendre «matérielles», tangibles des choses que je ressens, imagine… Puis de les réaliser à travers une (ou des) technique. C’est ça je crois, le point central. Il y a dans l’acte de livrer sa vision des choses, d’être soi, ou en tout cas de tendre vers cela, un parti pris fort et donc une sorte de «message physique-visible» qui veut dire : le sensible et l’imaginaire existent parce que des personnes le matérialisent et le proposent au partage après un processus de réalisation le plus souvent long et complexe. De ce partage, personne n’est exclu, même si la porte d’entrée n’est pas évidente. Le peintre et sculpteur CHOMO, par exemple, criait que l’on est sur terre pour évoluer! Et son intégrité ainsi que l’œuvre exceptionnelle qu’il nous laisse nous aide à prendre conscience de cela.
A partir de là, la question de la «réception» peut se poser. Mais si elle peut avoir un impact sur la vie matérielle et sociale de l’artiste (le succès, donc le bénéfice matériel qui va avec ou pas) elle n’a en réalité que peu d’emprise sur la nécessité d’évolution des artistes et des langages artistiques.
Pour revenir à mon expérience, j’ai vu toutes sortes de réactions : rejets violents, soupçons, indifférence bien sûr mais aussi des moments de suspension, lumineux… D’autant que je me souvienne, il y a toujours quelqu’un qui est là pour recevoir.
De plus, quand on affirme une démarche singulière ou peu commune, il faut être conscient que le rejet de l’autre est aussi une forme de parti pris en opposition, c’est intéressant… Il faut accepter de laisser le temps faire son travail.
Était-ce votre première participation au festival Jazz à Junas, et qu’en avez-vous pensé?
Oui, c’est la première fois que je jouais dans ce festival et suis très heureux d’y avoir participé. Je trouve l’histoire de «Jazz à Junas» extraordinaire dans la mesure où depuis 17 ans, tout le village ou presque participe activement à l’organisation et au déroulement du festival. Plusieurs dizaines de bénévoles se rendent absolument disponibles pour accueillir les artistes et le public!
Tout cela dans une ambiance très conviviale. Ça ne coule pas toujours de source : c’est dû à la passion et à l’idéal artistique-humain de l’équipe qui encadre cette manifestation, je pense.
En tous les cas, le fait de m’inviter en duo avec Barre Phillips, c’est m’offrir un moment très fort sur le plan musical et émotionnel et cela traduit bien l’état d’esprit de «Jazz à Junas» : soutenir les aventures musicales.
Vos projets pour la suite?`
A partir de septembre, la saison recommence avec plusieurs projets : L’ «Electric Pop Art Ensemble», un projet que je porte, dédié à la guitare électrique, avec deux nouvelles créations et l’édition de notre premier CD.
Collaborations avec la poésie dans «Micro-Microbe», spectacle-performance avec les poètes Edith Azam et mon frère Pierre Soletti, ainsi que le performer «FabrikdelaBeslot» (Festival des Musiques Insolentes le 9 octobre à la Seyne sur Mer).
Musique contemporaine avec l’ensemble «Thymes».
Réalisation d’une musique pour un film d’animation d’Amélie Harrault sur «Kiki de Montparnasse» pour Arte.
Et bien sûr une saison qui s’annonce riche avec l’indispensable EMIR dont le prochain rendez-vous sera le 19 septembre à l’occasion de la journée du patrimoine pour un concert dans le Chapelle Ste Philomène.
Propos recueillis par Alexia Lynch.